Il ne faut pas croire un mot de ce que Albin de la Simone raconte dans ses chansons. Quand il chante que ses épaules ne sont pas « bien carrées, pas bien gaulées, pas baraquées, pas balèzes », c’est entièrement faux : ce garçon est un contorsionniste de la chanson française, à même de réunir sur le même album le pianiste Alexandre Tharaud, la guitare barbue de JP Nataf comme la fée islandaise Emilíana Torrini, ou d’évoquer tour à tour, dans un savant mélange de fiction et de vécu, un aménagement, un enterrement, un mariage, un amour éteint et un endormissement, sans trop en dire, en restant flou, à l’image du portrait qui figure sur la pochette du disque.
Faut-il en déduire que Albin de la Simone est un menteur ? C’est toute l’ambiguïté du personnage. Même quand il se glisse dans la peau d’un autre (comme « un coupeur de bois l’hiver en forêt » dans Un homme), c’est avec la même authenticité, la même sensibilité, la même proximité. Cet auteur-compositeur-interprète n’est pas à un paradoxe près : si, d’album en album, sa langue s’est épurée (une direction particulièrement encouragée par ses dates en solo, qui ont remis le texte au premier plan, en même temps que la voix, nue jusqu’à ne plus être amplifiée), c’est la première fois qu’il opte pour des arrangements aussi élaborés, avec notamment quatre morceaux drapés de cordes, en contraste avec son précédent album Bungalow pour lequel il avait pris le parti d’habiller ses chansons d’arrangements plus synthétiques.
Pour son quatrième album (mais premier pour Tôt ou tard, une suite logique, quand on se rend compte qu’il a participé à tant de disques du label), Albin de la Simone a bouleversé sa façon d’écrire. Plutôt que de s’isoler du monde (Bungalow était le résultat d’un séjour d’un mois à Bali), Un homme est le résultat d’un travail continu où l’écriture s’est intégrée dans sa vie quotidienne. Une profonde remise en question lors de laquelle l’artiste a écrit une chanson par jour pendant 3 mois, jusqu’à trouver sa place entre pop et chanson. Pour la première fois également, beaucoup de chansons sont nées sur scène, lors des nombreux concerts que l’artiste a pu donner, notamment dans le cadre privilégié du Centquatre, établissement artistique dont il a été résident pendant deux ans.
Les bases de l’enregistrement ont été posées au studio La Fabrique, à Saint-Rémy de Provence, en compagnie de JP Nataf (guitare), de Raphaël Chassin (batterie et percussions) et l’ingénieur du son et réalisateur Dominique Ledudal. L’ensemble Contraste, qui avait invité Albin sur une relecture d’une chansons des Demoiselles de Rochefort, est venu poser ses cordes au studio Davout, à Paris. Les voix, certainement l’élément sur lequel le réalisateur s’est montré le plus intraitable, ont été réalisées au studio Garage, également à Paris. Elles ne semblent jamais avoir été aussi limpides.
En 2005, dans une chanson qui est devenue un classique de scène, Albin chantait : « Tu vois j’ai changé, j’ai changé, j’ai changé, je peux changer ». En 2013, Albin continue à changer : au-delà des étiquettes et des modes, il confirme sa position d’artisan, remettant régulièrement sur le métier son ouvrage, s’interrogeant plus particulièrement ici sur son rapport à la masculinité et la virilité. Sans pour autant renier l’essentiel : une chanson peut aussi bien se parer de ses plus beaux atours (Moi moi, La première femme de ma vie) que se présenter sous le plus simple appareil, comme c’est le cas de La fuite. Ce qui fait la différence, c’est « un grain de poivre, ce tout petit pépin piquant et doux » dont il est question dans un des titres de son nouvel album. Et c’est ce petit grain-là qui confère à ses disques un goût absolument unique.
Philippe Dumez
Source: L’Équipe Spectra
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